Bach – Cantates et époque

par Jean-Sébastien Hodgson

 Contexte de l’époque

Martin Luther
Martin Luther

À l’époque de Jean-Sébastien Bach, l’Allemagne vit la fin de la Guerre de Trente Ans, et ses habitants côtoient sans cesse la misère et la mort – plus de la moitié des Allemands y perdront la vie. Les villes sont alors peu populeuses pour l’époque: environ 60 000 personnes résident à Hambourg et à Berlin, et guère plus de 20 000 à Leipzig(i). Cette dernière, fortement attachée à ses traditions, est un bastion du luthéranisme, qui est la religion dominante dans la région où Bach habite, la Saxe.

Cette religion relève de l’intimité spirituelle. Toutefois, cela ne l’empêche pas de dépasser ce cadre strictement « intime » et d’influencer fortement la vie quotidienne. Les deux piliers de la vie, selon la conception de Luther, sont ainsi l’Église et la famille. À ce propos, Gilles Cantagrel affirme: « Ici et là, la communication intime et sensible avec le divin s’effectue par la méditation du chant collectif du choral, qui met en état de réceptivité intérieure et relie entre eux les hommes comme il les unit à Dieu. »(ii)

Un autre facteur d’alors à considérer est le nationalisme allemand, qui est en pleine ascension. Ce courant vient d’ailleurs grossir l’importance de certaines querelles de clocher entre les musiciens du pays, querelles qui impliqueront parfois le jeune Bach. Ainsi, un concours est organisé en 1718 à Dresde pour départager lequel serait le meilleur claveciniste entre un Français appelé Louis Marchand et Jean-Sébastien Bach. Il faut dire que ce concours avait été organisé par un certain Jean-Baptiste Volumier, maître de musique à Dresde, où Marchand venait de dénicher un poste important. Volumier, fort probablement jaloux de Bach, joue auprès de ce dernier la carte du nationalisme. Finalement, le débat s’est conclu par le retour impromptu vers Paris de Marchand, qui ne voulait visiblement pas affronter Bach le virtuose(iii). Cet incident nous dévoile deux choses : le patriotisme de Bach et sa grande virtuosité.

Bach, sa vie

Johann Sebastian Bach
Johann Sebastian Bach

Jean-Sébastien Bach est né le 31 mars 1685, à Eisenach, en Saxe –la même année exactement que son collègue Handel. Devenu orphelin à l’âge de dix ans, il doit alors dépendre d’un de ses frères, Johann Christoph, pour vivre. Il est le descendant d’une importante dynastie musicale familiale axée sur la tradition et s’inscrit dans un formidable réseau, dirions nous aujourd’hui. Plus tard, lorsqu’il occupe lui-même des postes musicaux importants, il n’a de cesse de «pistonner » les membres de sa famille pour des postes convoités. Il serait logique d’y voir une importance accordée à sa grande famille, à son « clan ».

Nous en savons assez peu sur la vie personnelle de Jean-Sébastien Bach. Même dans les lettres qu’il écrit à ses proches, il ne révèle presque rien sur ses sentiments. Il demeure toutefois que le compositeur allemand a un caractère difficile, un peu soupe-au-lait, comme le laissent deviner les altercations qui l’opposent souvent aux autorités en place, et ce peu importe où il travaillait. De même, à l’époque, une certaine image se développe à propos de Bach, le considérant comme un pater familias pompeux. À cela, il faut opposer le pendant d’un homme amateur de bonne chère et de repas bien arrosés avec ses proches.

Bach est mort le 28 juillet en 1750, à Leipzig, à l’âge de 65 ans. Au printemps, sa vision, pauvre au départ, diminue progressivement. Ses yeux avaient été affaiblis par des années de lecture de partitions à la lumière de la chandelle, entre autres quand il était jeune et que son frère Johann Christoph lui interdisait de lire des partitions. Il est opéré pour ses cataractes par un chirurgien anglais célèbre, John Taylor. Il retrouve la vue, puis la reperd complètement. Après une autre opération, il est victime d’une crise cardiaque et meurt paisiblement à sa soixante-sixième année(iv).

Bach, son œuvre

Bach et son entourage
Bach et son entourage

Les principaux postes occupés par Bach en Allemagne sont les suivants : organiste à Arnstadt, Mühlhausen et Weimar; musicien de cour, maître de concert et maître de chapelle à Weimar et Coethen; et Cantor et directeur de la musique à Leipzig(v). Un Cantor a alors deux types de responsabilités : musicales et scolaires. Il est le premier musicien de la ville, et directeur de la musique dans les quatre églises de Leipzig. Mais lorsque Jean-Sébastien Bach y devient Cantor, ce poste a perdu de son prestige. Il devient un peu ingrat, avec l’enseignement que le maître doit donner et la discipline qu’il doit faire régner à l’école.

De même, il doit composer de la musique pour les quatre églises, avec une chorale d’élèves turbulents et un orchestre médiocre. Un peu plus tard, en 1736, Bach est nommé compositeur de la chapelle royale, un titre qui, il l’espère, lui procurera davantage d’autorité et d’argent dans ses activités à Leipzig.

Bach est sous la tutelle des autorités religieuses du lieu où il travaille, et son caractère prompt cause souvent des heurts entre les deux. Les autorités, particulièrement les piétistes, trouvent sa musique trop riche et contraire à la méditation personnelle. À leurs yeux, la musique devenait ainsi du théâtre baroque. Quant à lui, Bach est hostile au piétisme par fidélité luthérienne, et parce que ce courant prône une diminution de la place de la musique dans le service religieux(vi).

Dans cet esprit, le Cantor doit fournir des œuvres qui ne seront jouées qu’une seule fois. Les cantates, par exemple, remplissent une fonction dans les activités de la ville; ainsi, elles ne doivent pas être publiées – d’où la disparition de plusieurs d’entre elles. En 1739, Bach se fait vieux et ne compose plus de cantates ni d’autres œuvres nouvelles; il recycle alors essentiellement ses compositions passées.

Si le style dans lequel Bach compose est polyphonique, où les voix distinctes doivent s’unir et se séparer, il faut noter que Bach vise surtout dans ses œuvres à parfaire ce qui existe déjà. Ses innovations sont peut-être moins importantes que chez un Haydn, le « père » de la symphonie et du quatuor à cordes. Mais cela n’enlève rien aux immenses mérites de Bach, surtout en sa qualité d’organiste; ainsi, il est souvent appelé pour tester un nouvel instrument dans une ville proche.

Le compositeur le plus populaire à l’époque de Bach est Georg Friedrich Handel. Ce dernier voyage beaucoup à l’époque, alors que Bach, même s’il est ambitieux, reste dans son fief en Saxe. Et contrairement au mythe, Bach n’est pas tombé complètement dans l’oubli à sa mort: ses fils et ses disciples interprètent souvent ses œuvres. Si le style de Bach est boudé par le grand public à la fin du XVIIIe siècle, les choses changent au XIXe siècle, entre autres grâce au jeune Felix Mendelssohn.

De la cantate comme genre

Partition musicale
Partition musicale

La première cantate à avoir été interprétée est la BWV61, en 1723; elle est composée  en 1704, à Arnstardst. Pour le libretto, Bach fait souvent appel aux services de Christian Friedrich Henrichi, alors que ce dernier est fonctionnaire à Leipzig. Les cantates, aujourd’hui classées « sacrées » ou « profanes », ne sont alors pas perçues comme telles : elles sont plutôt appelées des drama per musica, drame en musique ou musique solennelle. Bach a composé presque trois cents cantates, dont il ne reste aujourd’hui que deux cents. Si ce travail semble impressionnant, un grand chef d’orchestre comme Nikolaus Harnoncourt écrit n’avoir jamais ressenti l’impression que Bach se répétait dans ces œuvres (vii).

À cette époque, une symbolique d’association s’installe entre, d’une part, les sortes d’instruments et, d’autre part, les sentiments, personnes ou objets qu’ils doivent décrireviii. Cette nouvelle conception baroque du lien entre la nature et l’art établit que la nature est en quelque sorte la matière première de l’art, une inspiration perfectionnée par le processus artistique.

De même, Bach établit une relation intime entre les mots et la musique. On retrouve, dans le lien qu’il établit entre ces deux réalités, l’idée d’un sermon religieux. Mais un sermon où les mots et la musique seraient reliés à plusieurs niveaux, dans le style des drama per musica. Pour leur interprétation, il faut noter que les cantates sacrées s’intercalent à l’intérieur du rituel de la messe luthérienne. Ainsi, la musique de Bach était alors davantage vue comme relevant de la dévotion, et non comme du théâtre ou de l’opéra.

Il peut paraître surprenant, pour un compositeur de son importance, de n’avoir jamais composé d’opéra. Cela est essentiellement dû à l’endroit où il vivait, et aux influences dans lesquelles il a puisé. Un de ses contemporains qu’il admirait beaucoup est l’Italien Antonio Vivaldi, communément appelé le prêtre roux. Né en 1678, seulement sept années avant Bach, il a composé bon nombre d’opéras – qui sont d’ailleurs redécouverts actuellement dans l’industrie du disque classique, dans lesquels brille notre compatriote Marie-Nicole Lemieux.

Références

i Cantagrel, Gilles. Bach en son temps, Paris, Fayard, 1997, p. 9.
ii Ibid, p. 10.
iii Cantagrel XXX
iv Boyd, Malcolm. Bach. Londres, Schirmer, 1997, p. 190.
v Harnoncourt, Nikolaus. Le dialogue musical : Monteverdi, Bach et Mozart, 1985, p. 58
vi Cantagrel XXX
vii Harnoncourt, Op. cit., p. 81.
viii « Pour le choix des instruments, il s’était développé depuis les intermezzi du XVIe siècle une certaine symbolique par association : les aspects tendres et raffinés étaient associés aux cordes (qui servent également pour la colère dans les cancitato), les affects pastoraux et folkloriques aux flûtes à bec et aux chalemies; les affects érotiques aux flûtes; les divinités aquatiques, les tritons de même que les sonorités souterraines étaient associés aux cornets à bouquin et aux trombones, les dieux et les seigneurs aux trompettes. » Harnoncourt, Nikolaus, Op. Cit., p. 49.